S’il est un art français

S’il est un art français parmi les autres, comme un petit bijou de civilisation – dans le sens où sont portés au plus haut degré de raffinement le subtil mariage de nos arts et de nos mœurs – témoignage de nos aspirations les plus profondes, parce que nous aimons tremper nos âmes au mystère des origines, quand nous revisitons avec bonheur les meilleures pages de nos auteurs, les plats de nos grands mères, les châteaux de nos vacances, les odeurs de nos églises, les vins de nos caves, les pains de nos villages, les fromages de nos contrées, les meubles de nos familles, un art universel et prisé par le plus indigent, un art simple et nu, sans doctrine, un art libre et dépouillé de tout système, un art que je goûte avec une passion gourmande, c’est – à mes yeux – l’art de flâner.

Quand je sillonne les rues d’une ville pour la première fois, au hasard des chemins qui s’offrent à ma vue, je ne manque pas de recenser les endroits telluriques, les points d’influences qui fleurissent au milieu des entrelacs urbains, comme ces cordes sans extrémités qu’on enchevêtre à loisir pour tracer le dessin d’une frise et – guidé par une main obscure vers des lieux de cultes païens, où l’on sacrifiait aux divinités antiques – je déambule, les sens en immersion, à la recherche d’un Val Sans Retour, d’une perspective utopique, comme ces plans de cinéma qui sous-tendent la rumeur d’une fuite impossible vers un piège mystérieux, une rue chimérique où l’on voudrait se disperser, parce qu’une voix intérieure nous objurgue d’arrêter nos pas.

Je ne sais pas depuis quand j’ai commencé à flâner. Ai-je vraiment appris ? Curieux sentiment que cette manière d’appréhender le réel, avec les yeux du rêve. Cette démarche a toujours été naturelle pour moi, formule qui me paraît juste, parce qu’il s’agit bien d’une démarche, cette façon à soi que l’on a d’avancer, de se déplacer, de cheminer, façon que rien ni personne ne pourra entraver, même lorsqu’on nous apprend à marcher au pas ou en groupe, à l’armée ou à l’école, pour nous rappeler que nous sommes les éléments d’un corps, alors que l’on sait au plus profond de soi, dans le secret de l’être – où nul ne descend – que notre démarche est unique, parce qu’elle traduit dans nos jambes les impulsions de l’intime.

Depuis les jours de l’enfance, où la variété du monde est un enchantement, sous le ciel bleu, sous les nuages gris, j’ai toujours aimé flâner dans les rues des villes, sur les quais des ports, le long des fleuves et des rivières, par les chemins et par les grèves, dans les ruelles des bourgades ensoleillées de nos vacances en Gascogne, tandis que la fraîcheur qui sortait des maisons me saisissait l’esprit, viscéralement, avec cette tension qui hante nos instincts depuis l’âge de pierre, lorsque nous cédons au pouvoir de la nature, parce qu’un souffle surnaturel me transportait vers un autre monde, comme cette odeur de terre mouillée qui montait du sol après l’orage, et m’enivrait les sens au point de me faire courir jusqu’au soir dans l’eau brûlée des champs.


Laisser un commentaire